IBM et WordPress : deux visions du télétravail ?

IBM, longtemps considérée comme pionnière pour le travail à distance, annonçait il y a quelques mois des mesures visant à contraindre ses employés en télétravail à rejoindre ses sites, ou à quitter l’entreprise. Les commentaires ont été nombreux : pour les uns, il s’agit d’une attitude de repli passéiste du géant de l’informatique, pour d’autres, c’est l’occasion de se livrer à une attaque en règle du télétravail.

Plus récemment, la société américaine Automattic qui possède WordPress.com a déclaré qu’elle mettait en vente ses bureaux de San Francisco, constatant que ses employés préféraient le télétravail et n’y venaient donc presque jamais.

Quelles leçons peut-on tirer de ces deux attitudes face au télétravail, en apparence diamétralement opposées ?

Liberté, agilité, responsabilité : les attraits du télétravail

Avec des outils digitaux de plus en plus efficaces, pourquoi imposer à ses employés plusieurs heures de déplacements quotidiens ? Et pourquoi se passer des talents de collaborateurs potentiels résidant à l’autre bout du pays, voire de la planète ?

Les communications à distance, par téléphone ou en vidéo-conférences, mais aussi les outils collaboratifs accessibles sur le cloud, permettent d’imaginer des employés proches malgré l’éloignement physique, éventuellement nomades, mais tout aussi productifs que leurs collègues in situ. Certains collaborateurs avouent d’ailleurs travailler de manière plus efficace quand ils peuvent s’isoler de l’agitation d’une staff room ou des conversations téléphoniques de leurs voisins de bureau.

Le modèle très tendance du travailleur indépendant, maître de ses horaires et de sa productivité, n’est pas loin, même si les outils digitaux permettent d’abolir la distance (au moins en partie), mais pas le temps : ceux qui ont déjà travaillé à distance avec le continent américain depuis la France connaissent les contraintes du décalage horaire …

S’y ajoute l’opportunité de réduire les loyers, voire la masse salariale en s’adressant à un bassin d’emploi plus large, dans un rapport offre / demande plus favorable. Enfin, il ne faut pas oublier la  dimension « responsabilité environnementale », avec la réduction des déplacements domicile travail : les avantages du télétravail ne manquent donc pas.

Oui, mais …

En 2013 déjà, Yahoo effectuait un virage sur l’aile proche de celui d’IBM aujourd’hui : l’argument invoqué était le manque de communication induit par la distance. Selon la DRH Jackie Reses, « travailler chez Yahoo ne dépend pas seulement de l’exécution de vos tâches quotidiennes. Cela repose également sur les interactions et les expériences qui sont exclusivement possibles dans nos bureaux ».

Dans la même logique, Marissa Mayers, PDG de Yahoo, établissait un lien entre l’absence de contacts directs et la perte de créativité  : « Certaines des meilleures idées et décisions surviennent après des discussions à la cafétéria ou au couloir, après des rencontres avec les gens et des rendez-vous d’équipes impromptus ». En somme, les outils collaboratifs ne permettraient pas à l’entreprise d’être réellement collaborative.

Par ailleurs, le manque de productivité de certains télétravailleurs était aussi clairement pointé du doigt. « Ils étaient nombreux à se cacher. Ils étaient tous des employés – à distance – et pourtant personne ne savait qu’ils travaillaient encore chez Yahoo ».

Certaines mauvaises langues suggèrent cependant, pour Yahoo comme pour IBM, une démarche de licenciements déguisés : en imposant l’alternative « rejoindre un bureau ou démissionner », ces sociétés savent que certains employés seront contraints d’opter pour la seconde proposition. Cette suspicion est renforcée, pour le cas d’IBM, par le constat de résultats négatifs depuis plusieurs trimestres.

Enfin, bien que cela soit moins évoqué dans la communication des grandes sociétés concernées, la difficulté de manager les télétravailleurs est parfois réellement ressentie : bien que parler de contrôle ne soit plus dans l’air du temps, avoir l’œil sur ses équipes reste rassurant …

Faut-il vraiment raisonner en « tout ou rien » ?

Une faiblesse évidente des arguments avancés par les POUR comme par les CONTRE est qu’ils reposent sur une logique en « tout ou rien », alors que la réalité est souvent plus nuancée : les accords de télétravail négociés dans les entreprises encadrent strictement ce mode d’organisation, en volume (par exemple, un jour par semaine), en horaire (respect des horaires de l’équipe, même à distance), en modalités de management, etc.

Le télétravailleur n’est donc pas un électron libre, à mi-chemin entre le salarié 100% sédentaire et le freelance, mais plus simplement un membre à part entière de l’équipe, qui profite à dose raisonnable des avantages du télétravail (cadre favorable à une meilleure concentration, gain de temps, économie de coûts de transport, …) sans pour autant se couper du reste de l’entreprise.

Les retours d’expériences concordent généralement sur un point : quand ils sont en mode télétravail, les collaborateurs ont tendance à allonger leurs horaires : d’abord, en convertissant leurs temps de trajet en travail, mais aussi en raccourcissant les pauses et en retardant la fin de leur journée professionnelle. Il importe donc de réguler ces excès pour assurer, au domicile (ou en coworking) comme au bureau, des horaires homogènes et soutenables.

Quoi qu’il en soit, les exemples d’IBM, de WordPress ou de Yahoo sont porteurs d’enseignements et permettent d’identifier des points de vigilance utiles pour l’élaboration de ces accords, plus complexes qu’il n’y paraît : adapter le management, veiller à l’équité, ne jamais perdre le contact, et préserver des conditions favorables au développement de la créativité collective.

Et si vous cherchez 1400 m² de bureaux magnifiquement agencés à San Francisco, ceux de WordPress sont sur le marché …

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